Rudy et Julien sont deux frères originaires de Lyon, rédacteurs du site Handilol, et passionnés de voyages !
Rudy est atteint de la myopathie de Becker, une maladie dégénérative qui affaiblit progressivement les muscles inférieurs et supérieurs. Il a perdu la marche en 2009 et se déplace depuis en fauteuil roulant électrique. Julien est son aidant familial et l’aide pour les gestes du quotidien.
En 2012, ils ont créé Handilol, un site Internet sur lequel ils rédigent des guides de voyage PMR (Personne à Mobilité Réduite) très détaillés pour aider les autres personnes en fauteuil roulant à organiser leurs propres voyages. Leur but est également de sensibiliser le grand public à l’importance de l’accessibilité car nous pouvons tous être concernés par une déficience (auditive, motrice, visuelle…) à un moment de notre vie !
Nous les avons interviewés pour le Webzine En France Aussi.
Vous êtes plutôt citytrip, montagne, mer ou campagne ?
Citytrip, sans hésitation ! Nous avons commencé à voyager régulièrement en 2011 et nous nous sommes pris au jeu de visiter les capitales et grandes villes européennes !
Nous aimons particulièrement les villes traversées par un fleuve ou situées en bord de mer. Cela donne tout de suite un charme particulier ! Admirer les façades colorées du Canal Saint-Martin à Paris, faire le tour du Vieux-Port jusqu’au MUCEM puis rejoindre le quartier du Panier à Marseille, pique-niquer sur le quai de la Daurade à Toulouse au coucher du soleil… Autant de petits plaisirs que nous aimons collectionner !
Et si en plus il y a des canaux comme à Venise ou à Amsterdam, alors c’est le pied total !
Quels ont été vos plus beaux voyages en France ?
L’été 2016, nous nous sommes lancés un pari un peu fou : réaliser un circuit dans le Sud-Ouest en visitant 14 villes en 14 jours ! Pour cela, nous avons notamment profité des billets de train TER à 1€ en région Occitanie qui permettent à tous, aujourd’hui encore, de voyager à moindres coûts !
Notre périple a démarré à Montpellier et s’est poursuivi à Béziers, Narbonne, Perpignan, Collioure, Carcassonne, Toulouse, Bayonne, Biarritz, St Jean de Luz, Hendaye, un petit week-end à San Sabastian à la frontière espagnole histoire de manger des pintxos (les tapas locales) et final à Bordeaux. Nous ne sommes finalement pas allés à Arcachon qui n’est pas très accessible pour nous en fauteuil, le comble pour une ville avec beaucoup de seniors.
Cela reste un très beau souvenir, à la fois pour le côté intense du voyage en lui-même tant nous avons vu de choses, et parce que les gens sont extrêmement chaleureux dans le Sud-Ouest ! On se sent vraiment bien, et que dire de la gastronomie !
Un autre voyage a également une saveur particulière à nos yeux : notre première fois à la montagne à Pralognan-la-Vanoise en avril 2019. Tout d’abord, il est important de préciser qu’il y a toujours de la neige en avril à Pralognan. Comme les températures avoisinent les 10 degrés en journée, cela est beaucoup plus confortable pour les personnes comme Rudy qui ne quittent jamais leur fauteuil roulant.
Ce voyage a été l’occasion de découvrir la vie en montagne, de visiter une chèvrerie et d’assister à la traite, de nous promener dans des décors somptueux, de déguster de délicieux produits locaux (miam le bon fromage !)… Mais aussi de pratiquer le ski-fauteuil ! Faire du ski avec mon frère pour la toute première fois à 35 ans, c’est une émotion particulière et un moment que je n’oublierai jamais !
Cela a été rendu possible grâce à la formidable équipe de l’association Anaé, qui dispose d’un grand chalet labellisé Tourisme & handicap, et qui propose de nombreuses activités adaptées aux personnes en situation de handicap. Nous avons d’ailleurs pratiqué aussi le curling-fauteuil à la patinoire de Pralognan, et Rudy s’est bien mieux débrouillé que moi, qui me suis souvent retrouvé les fesses par terre !
Cette fois encore, nous avons réalisé une vidéo lipdub, toujours dans la bonne humeur !
Quelles difficultés rencontrez-vous pour voyager en France ?
Notre principale difficulté est de trouver un hébergement accessible ET adapté. Ce n’est pas parce qu’un hôtel a une entrée de plain-pied dans la rue et un ascenseur pour aller au 10ème étage qu’il y a de la place pour circuler autour du lit, ou qu’il dispose d’une douche italienne avec des barres de maintien et un fauteuil de douche dans la salle de bain !
Ensuite, il y a la difficulté à se déplacer lorsqu’on n’a pas son propre véhicule et que les transports publics ne sont pas accessibles. D’une manière générale en France, il est difficile de trouver des taxis qui disposent de véhicules avec une grande rampe pour permettre à une personne en fauteuil roulant de se déplacer en restant dans son fauteuil. Il existe parfois des sociétés de transports adaptés mais le coût de la course est alors plus onéreux et tout le monde n’a pas les moyens pour assumer ce surcoût. Enfin, il n’y a parfois aucune solution. C’est le cas lorsqu’on arrive à la gare de Volvic en Auvergne et qu’on veut rejoindre le centre-ville situé 4km plus loin, après une route de montagne. Résultat, nous avons annulé notre voyage cette fois-là, faute de solution !
Enfin, nous estimons qu’un commerce sur deux est accessible en moyenne, ce qui est trop peu. L’été dernier, nous avons visité la magnifique ville d’Annecy. Dans la vieille ville, tous les commerces ont une marche à l’entrée et nous n’en avons vu aucun avec une rampe ! Nous ne sommes pas des fous furieux de l’accessibilité et ne demandons pas aux commerçants de casser la marche pour construire une entrée de plain-pied. Toutefois, nous apprécierions qu’ils achètent une petite rampe, même amovible, pour nous permettre l’accès à leurs boutiques. Cela nous ferait sentir un peu plus les bienvenus ! Nous entendons parfois que les normes accessibilité coûtent cher, que cela fait couler les commerces et que de toutes façons “on ne voit jamais de clients en fauteuil alors à quoi bon?!”. Un commerce peut obtenir une dérogation à la mise aux normes si les travaux sont trop coûteux ou s’il est situé dans un Bâtiment de France, comme c’est le cas dans la vieille ville d’Annecy. Mais s’il-vous-plaît amis commerçants, ce n’est pas parce que vous avez obtenu une dérogation qu’il ne faut rien faire ! On trouve des rampes PMR à moins de cent euros alors achetez-en une et mettez-là à disposition ! Vos clients à mobilité réduite vous en seront reconnaissants et vous commencerez à voir plus souvent des personnes en fauteuil, qui ne manqueront pas de se passer le mot !
Quels endroits en France vous font rêver mais doivent améliorer l’accessibilité pour les voyageurs à mobilité réduite ?
Il sera surement impossible de rendre accessible un jour un lieu comme le Mont Saint-Michel mais ce serait formidable !
Nous aimons beaucoup la ville de Marseille mais ce n’est pas une destination idéale quand on est en fauteuil roulant. Les bus ont régulièrement des soucis avec les rampes automatiques, il est donc difficile de se déplacer où l’on souhaite avec les transports en commun. De plus, la voirie n’est pas toujours idéale selon les quartiers, en raison notamment des voitures à cheval sur les trottoirs… Vive les incivilités !
À Arcachon, il n’est pas possible d’accéder en fauteuil roulant à la Dune du Pilat. Pour avoir une vue d’ensemble, il faut faire le tour du bassin en bateau mais tous les bateaux ne sont pas accessibles pour les voyageurs en fauteuil roulant électrique. Il faudra que nous revenions tester.
Dans un autre registre, les parcs d’attractions comme Disneyland Paris ont à cœur d’accueillir au mieux le public en situation de handicap mais il reste encore beaucoup de travail à faire. En effet, pour réaliser certaines attractions, il faut être en mesure de se transférer du fauteuil roulant au siège de l’attraction, ce qui n’est pas le cas de personnes comme Rudy qui sont lourdement handicapées. Pensez à une attraction comme Space Mountain : comment voulez-vous aller de votre fauteuil jusque dans le siège de l’attraction, situé à un niveau inférieur par rapport au sol, le tout dans un délai obligatoire de moins de vingt secondes chrono ? C’est juste impossible !
Avez-vous eu des coups de CŒUR accessibles à partager ?
Comme dit précédemment, notre séjour à Pralognan-la-Vanoise reste l’un de nos temps forts tous voyages confondus en France. Le chalet de l’association Anaé dispose de chambres adaptées aux personnes en fauteuil roulant et il est possible de faire diverses activités sportives encadrées, comme le ski-assis l’hiver ou des balades tout terrain en Cimgo pendant la saison estivale.
Quand on pense accessibilité, on pense souvent au cadre bâti en premier lieu mais l’accueil et la sensibilisation du personnel sont tout aussi importants ! A ce sujet, nous avons particulièrement aimé notre rencontre avec Emilie et Mathieu, les co-créateurs de l’escape game L’Atelier des Enigmes à Annecy, qui conçoivent eux-mêmes des salles d’énigmes particulièrement originales.
Gros coup de cœur également pour Benjamin et son élevage de lamas à Six-Fours-les-Plages dans le Var. Nous avons participé à un atelier de lamathérapie et Benjamin a fait preuve d’une grande bienveillance pour aider Rudy, notamment pendant le brossage et la promenade des lamas. Ce sont des animaux très doux qui ont un vrai pouvoir d’apaisement. D’ailleurs, ils vont régulièrement rentre visite aux résidents des maisons de retraites alentours pour leur apporter un peu de compagnie.
Quels conseils donneriez vous aux professionnels du tourisme pour améliorer leur accueil ?
Tout d’abord,il faut que les professionnels du tourisme se forment au handicap et aux besoins en termes d’accessibilité. C’est la base ! Si en plus ils réalisent quelques mises en situation (parcours en fauteuil roulant, parcours les yeux bandés et avec une canne d’aveugle, ou avec un casque anti-bruit), alors nous pouvons vous assurer qu’ils deviendront très vite à l’aise avec la question !
Deuxièmement, il faut que les professionnels fassent preuve d’une réelle implication et qu’ils travaillent conjointement avec les offices de tourisme. Cela permettra à ces derniers de réaliser une rubrique dédiée au tourisme adapté sur leur site Internet, avec toutes informations utiles : transports, hébergements, location de matériel medical, restaurants, lieux touristiques, loisirs, wc publics adaptés… A noter que tous les offices de tourisme n’ont pas encore de rubrique dédiée sur leur site, y compris dans des villes très visitées comme Arcachon ! (ce n’est pas faute de leur avoir fait la suggestion lors de notre séjour en 2014…)
Concernant l’hébergement, il faudrait que les hôteliers et les propriétaires mettent des photos des chambres adaptées PMR sur leur site Internet, ainsi que des informations utiles comme la hauteur des équipements (lit, wc, lavabo), la mise à disposition de matériel spécifique (fauteuil de douche) ou d’aide humaine (service à table pour le petit-déjeuner pour les personnes qui voyagent seules), la présence de places de stationnement réservées, etc… Cela ferait gagner beaucoup de temps aux personnes concernées !
En conclusion, il va falloir de nombreuses années encore pour que les mentalités changent et que les professionnels comprennent que le tourisme adapté ne concerne pas que les personnes en situation de handicap, d’autant plus dans une société de plus en plus vieillissante. Mais nous gardons bon espoir ! Et puis en attendant, il existe quelques initiatives comme notre site Handilol pour faciliter le voyage aux personnes à mobilité réduite !
Sylvie, voyageuse compulsive, a crée son blog Le coin des voyageurs après un tour du monde en famille puis le rendez-vous mensuel #EnFranceAussi pour (re)découvrir son pays. Aime autant les courtes escapades que les longs voyages où on peut prendre son temps. Est inspectrice des travaux finis du webzine^^(boss, quoi…).
